La recherche-création que nous nous proposons ici d'exposer a pris forme à partir d'un constat préoccupant. Un récent sondage du Regroupement Québécois de la Danse (décembre 2020) montre que 52% des danseurs au Québec désirent entamer une reconversion professionnelle et abandonner leur métier. L'un des effets que la pandémie aura sur les arts de la scène, en particulier dans les états qui n'accompagnent pas les artistes par des dispositifs de sécurité sociale, sera la déperdition professionnelle et le ralentissement de l'excellence artistique. La distanciation sociale provoque la perte de ce que Bourdieu nomme le capital culturel, ce qui nous a menés à réfléchir aux conséquences néfastes sur la deuxième forme de capital culturel décrite par le sociologue : sa forme objectivée. En effet, la danse est un art avec une tradition orale importante et seulement une quantité négligeable de chorégraphies sont notées et conservées. Le répertoire vit essentiellement dans les mémoires corporelles de ses interprètes. La reconversion précipitée de nombre de danseurs pourrait entrainer un double appauvrissement en danse comme dans les autres secteurs scéniques : une atteinte inestimable à son capital culturel incorporé; la fuite de ses protagonistes, entrainant de surcroit la perte potentielle de nombre d'œuvres du patrimoine chorégraphique.

Pour tenter de pallier la situation, nous avons développé et mis en place SITT : Streaming, Interactivité, Téléperformance Transmédia. Ce projet met en œuvre des expertises théoriques et pratiques au croisement entre théâtre, danse, muséologie, communications et nouvelles technologies, tout en réunissant déjà près d'une trentaine de partenaires diffuseurs et de compagnies de création et de production chorégraphiques québécoises. SITT deviendra leur interface numérique via le développement de trois extensions logicielles (en forme de blocs de programmation) intégrés au sein d'Isadora, logiciel largement répandu dans la gestion en temps réel de tout type de média pour les arts de la scène. Un premier bloc permet de faire de la téléperformance réunissant des interprètes créateurs distants au sein de la même image. En plus du traitement téléperformatif, le deuxième permettra d'intégrer à Isadora le streaming. Le troisième permettra aux interprètes d'avoir une idée précise de l'état émotionnel des spectateurs internautes grâce à un outil d'humanité numérique unissant l'intelligence artificielle à la sentiment analysys. Tous les outils développés par SIT seront distribués gratuitement.

Suite aux développements logiciel, nous allons former des artistes techniciens à l'usage de ces outils et qui assurera, ensuite la diffusion en streaming des œuvres chorégraphiques des structures de diffusion partenaires. Ce dispositif-réseau pourrait alors répondre non seulement aux nouvelles propositions stratégiques des financeurs, mais surtout à la réalité des créateurs, des interprètes et des diffuseurs qui n'ont ni les compétences en intégration numérique ni les ressources pour du support en informatique-réseau. Nous avons pensé cet ensemble d'actions de développement informatique, de formation et d'accompagnement à la webdiffusion intégrée aux humanités numériques en fonction de la crise dans le secteur de la danse, mais il nous est clair que tout le secteur de la création en arts vivants pourrait en bénéficier. Pour cela nous avons conçu un plan de transfert de connaissances détaillé et articulé autour de nos outils

Les cofondateurs de SITT, Armando Menicacci (artiste numérique et chercheur, Ph.D en danse et informatique, Paris 8) et Nicolas Berzi (metteur en scène, Ph.D en pratique scénique intermédiale, UQAM), en compagnie de Marie Lavorel (membre du board Humanistica et directrice du plan de transfert de connaissances de SITT, Ph.D en muséologie et communication, UQAM/UAPV) proposent à Humanistica l'une des premières démonstrations pratiques et commentées de ce projet de recherche-création hybride faisant dialoguer technologie numérique et arts vivants au service du patrimoine chorégraphique et scénique.