À partir d'une étude de cas concernant la destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff (2016) et de la manière dont nous nous sommes servi d'outils numériques pour la mener, nous aimerions soulever quelques questionnements sur les rapports entre la qualité de l'environnement numérique de travail du.de la chercheur.se, la temporalité de l'enquête et la manière dont celle-ci intervient dans l'histoire des problèmes publics (CEFAÏ, 1996, 2016 ; NEVEU, 1999, 2016) et a fortiori dans le processus démocratique. En reprenant John Dewey (1993, 2010 ; apud ISAAC, 2015) et en discutant des expérimentations socio-informatiques menées au sein de la pragmatique des transformations (CHATEAURAYNAUD, 2011, 2016, 2019 ; CHATEAURAYNAUD et DEBAZ, 2011, 2017), nous aimerions en outre présenter quelques arguments pour faire un plaidoyer en faveur d'une mise en place d'instances collaboratives et numériquement équipées d'observation continue de la réalité sociale qui puissent contribuer à « prendre soin » de la sphère publique (VOIROL, 2018).

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La sociologie des problèmes publics a maintenant toute une histoire qui, de Becker (1963) et Blumer (1971) à Neveu (1999, 2015) et Cefaï (1996, 2016), en passant par Gusfield (1981), Pfohl (1977) et d'autres, a consolidé une tradition de recherche permettant de renouveler les approches des questions sociales à travers une attention accrue sur leurs formes de constitution et sur leurs processus d'émergence dans les arènes publiques. Ce champ de recherche, qui concerne une grande diversité d'objets et qui demande la mobilisation de différents savoirs, joue un rôle important dans la compréhension d'enjeux centraux de la contemporanéité, de la transformation de formes de mobilisation et des évolutions de la dispute pour l'attention publique. Pour ce faire, il demande une forte prise en compte de l'empirique à travers la mobilisation de différentes méthodes pour comprendre les acteurs et les institutions, les réseaux et les contextes où émergent les problèmes.

Tenant ces recherches comme une ressource théorique et méthodologique importante, nous nous sommes intéressé au processus de destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff, mise à l'écart du pouvoir en 2016 et remplacée par son vice-président, Michel Temer. Il a alors été possible de repérer la manière dont différents problèmes publics se sont concurrencés, mais ont aussi convergé dans un processus complexe de formation d'arènes publiques multiples (CEFAÏ, 2016), imbriquées avec la destitution de Rousseff. En particulier, nous avons pu voir comment des problèmes qui avaient émergé des années auparavant (et qui ont bifurquer par la suite), comme la question de la corruption, ont été remobilisés en parallèle avec la problématique du « gonflement » de l'État pour faire de l'enlèvement de la présidente une cause publique majeur.

Nous aimerions dans cette communication présenter la manière dont les outils numériques ont été fondamentaux pour pouvoir traiter un objet dont la complexité est considérable, bien comme les différentes difficultés techniques qu'on du être affrontées pour rendre cela faisable. Nous voudrions en particulier expliciter trois points : premièrement, la façon dont Prospéro, logiciel d'analyse logico-sémantique fine, conçu pour traiter des dossiers complexes dans la durée (Chateauraynaud, 2005) et contribuant au développement de la pragmatique des transformations, a été notamment important pour saisir les configurations et reconfigurations de l'affaire ; deuxièmement, le travail de sélection et mise en place d'outils qui nous a permi de gérer et traiter les données et corpus, tout en inscrivant ces activités dans une logique collaborative et dans une visée de science ouverte ; troisièmement, comment nous avons, au fur et à mesure, été mené à rapprocher des outils de recherche et des outils de gestion et d'envisager la nécessiter de défragmenter l'environnement numérique du.de la chercheur.se. Ces différents éléments nous ont alors permi de préfigurer un écosystème numérique dédié aux sciences sociales et aux humanités numériques qui soit à même de traiter d'enjeux concernant l'attention (CITTON, 2014) et d'actualiser les potentialités de l'écriture numérique (GUICHARD, 2017) .

Références bibliographiques

Cefaï, Daniel. 1996. « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques ». Réseaux 14(75):43 66. doi: 10.3406/reso.1996.3684.

Cefaï, Daniel. 2016. « ‪Publics, problèmes publics, arènes publiques...‪ ». Questions de communication n° 30(2):25 64.

Chateauraynaud, Francis. 2003. Prospéro: une technologie littéraire pour les sciences humaines. Paris: CNRS éditions.

Chateauraynaud, Francis, et Josquin Debaz. 2011. Processus d'alerte et dispositifs d'expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux : Observatoire informatisé de veille sociologique. hal-00662501

Chateauraynaud, Francis. 2014. « Trajectoires argumentatives et constellations discursives, Argumentative trajectories and discursive constellations ». Réseaux (188):121 58. doi: 10.3917/res.188.0121.

Chateauraynaud, Francis. 2019. « Petit traité de contre-intelligence artificielle. Retour sociologique sur des expérimentations numériques ». Zilsel 1(5):174 95.

Citton, Yves. 2014. Pour une écologie de l'attention. Seuil.

Dewey, John. 1993. Logique: la théorie de l'enquête. Paris, France: Presses universitaires de France.

Dewey, John. 2010. Le public et ses problèmes. Paris, France: Gallimard.

Guichard, Éric. 2017. « L'histoire et l'écriture numérique. Approche technique, politique, épistémologique ». HAL 19.

Joseph, Isaac. 2015. « L'enquête au sens pragmatiste et ses conséquences. Vulnérabilité du public, observation coopérative et communauté d'exploration ». SociologieS.

Neveu, Erik. 1999. « L'approche constructiviste des « problèmes publics ». Un aperçu des travaux anglo-saxons ». Études de communication. langages, information, médiations (22):41 58. doi: 10.4000/edc.2342.

Neveu, Érik. 2016. Sociologie politique des problèmes publics. Paris, France: Armand Colin.

Voirol, Olivier. 2017. « Pathologies de l'espace public et agitation fasciste ». Réseaux (202 203):123 59. doi: 10.3917/res.202.0123.