Pour une thèse en cours à Cergy Paris Université (EUR Humanités, Création, Patrimoine) en partenariat avec l'Institut National du Patrimoine, une étude est en cours des contenus de plusieurs carnets de terrain concernant des fouilles archéologiques programmées et préventives réalisées entre les années 1970 et aujourd'hui. Les contenus des carnets sont d'une grande richesse pour reconstituer l'histoire d'un chantier de fouille et pour contribuer à l'historiographie de l'archéologie française qui, entre les années 1970 et les années 1990, connaît de profondes mutations.
D'une part pendant cette période l'archéologie de sauvetage qui devient préventive connaît le début de son essor, liée à la multiplication de grands travaux d'aménagement du territoire. Ce développement s'appuie notamment sur la création en 1973 de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN). En nombre de chantiers, l'archéologie préventive devient plus importante que l'archéologie programmée et prend une dimension internationale par la mise en œuvre, en 1992, de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (Demoule, 2007).
D'autre part, l'apparition de la micro-informatique à partir du milieu des années 1970 et sa diffusion large à partir du milieu des année 1980 se traduit par le développement des premiers systèmes d'enregistrement numérique de terrain, comme par exemple le système Syslat (Py, 1991), souvent sur des matériels de la marque Apple dont l'ergonomie et la facilité d‘utilisation rencontre un vif succès dans les communautés archéologiques.
Une partie des carnets de terrain d'un chantier de fouille archéologique, conduit entre 1972 et 1990, est pris comme cas d'étude. Renseignés par plusieurs des fouilleurs, les contenus de ces carnets consistent en des annotations manuscrites concernant la vie du chantier, des observations scientifiques, des découvertes de mobilier archéologiques, des choix dans la conduite de la fouille, des hypothèses d'interprétation. D'autres types de contenus d'apparence plus anecdotiques ont aussi leur importance : annotations sur la météorologie, sur les comportements des fouilleurs, des passages humoristiques, des notes et des croquis réalisés sur des morceaux de papier puis scotchés, des tirages photographiques collés, des cartes postales insérées.
La numérisation de ces carnets de terrain a été réalisée pour en entreprendre la transcription numérique. Des premiers essais ont été conduits avec le logiciel Transkribus qui permet notamment la reconnaissance automatique d'écriture. Après des débuts décevants avec cette solution, une évaluation d'autres solutions a été entreprise dans le cadre d'un projet exploratoire en collaboration avec le Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (équipe DUKe) et Polytech Nantes (Université de Nantes). Le choix s'est porté sur le développement d'une application basée sur la plateforme Scribe[1]. Avec le prototype développé, le travail de transcription manuelle a pu être commencé.
Une proposition de typologie a été nécessaire pour guider la distinction entre les divers types de contenus : zones de texte autonome, zones de commentaires associés, objets graphiques, objets importés, etc. Cette typologie permet d'obtenir des contenus numériques qui servent à observer de la tenue de ce type d'archives comme de celle des pratiques de chantier. Ainsi, si les carnets de terrain sont des œuvres collectives pendant les premières campagnes de fouilles, ils ne sont plus renseignés que par un seul auteur lors des dernières campagnes. Par ailleurs, l'analyse des contenus permettrait de faire ressortir les choix effectués des zones fouillées, des structures dégagées, des relevés en plan et en coupe, des blocs de sédiments prélevés pour des analyses en laboratoires, des interprétations avancés, individuelles ou collectives, etc. Selon les fouilleurs, les proportions dans les divers types de contenus ne sont pas identiques.
Les premiers résultats seront présentés et mis en perspective par rapport à d'autres travaux en partie similaires, conduits en France sur ce même type d'archives comme le projet Bulliot, Bibracte et moi (Depalle et al., 2019)[2].
Des relations étroites apparaissent entre la nature des informations et les modalités de leur inscription selon que celle-ci est faite sur des carnets de terrain et des fiches d'enregistrement papier ou dans des fichiers d'enregistrement numérique. Les effets des formalismes de l'enregistrement numérique sur les savoirs archéologiques se vérifient directement. Ainsi, l'usage progressif de fiches normées d'enregistrement prend le pas sur la tenue des carnets de terrain qui tendent à contenir de moins en moins d'indications au fur et à mesure des campagnes de fouilles.
Les conséquences de l'usage des dispositifs numériques sur la conservation et la diffusion des archives de fouille sont aussi évaluées. Elles relèvent de choix en matière de pérennité et d'accessibilité à des archives de fouille anciennes et de leur ouverture, dans la perspective des principes FAIR, permettant de nouvelles formes de valorisation et de médiation de données de la recherche archéologique considérées comme des données patrimoniales.
Enfin, une mise en perspective de ces travaux est proposée. Elle s'appuie sur l'évaluation de l'importance que revêtent l'inscription spatiale et temporelle des savoirs « ce qui les ancre dans un lieu et un moment particuliers ou ce qui leur permet de circuler et de se diffuser » (Jacob, 2011).
Références :
Demoule Jean-Paul. 2007. « La naissance de l'archéologie préventive », Pour la Science, novembre 2007 : 146-151.
Depalle Claire, Durost Sébastien, Girard Jean-Pierre et Perrin-Touche Emmanuelle, 2019. « “Bulliot, Bibracte et moi” une expérience de sciences participative en archéologie », Culture et Recherche, « Recherche culturelle et sciences participatives », n° 140 : 78.
Jacob Christian. 2011. Lieux de savoirs. Tome 2 La main de l'intellect, Paris, Albin Michel.
Py Michel. 1991. « Principes, outils et implantation de “Syslat”, Système d'enregistrement, de gestion et d'exploitation de la documentation issue des fouilles de Lattes », Lattara 4 : 117– 122.